samedi 2 novembre 2013

Quarante-deux

 


La grossophobie, quand tu es enfant ou ado, c'est la peur.   

D'aller à l'école, ou dans la rue. Partout.

C'est les insultes, les coups, et les surnoms, qui te réduisent à un animal, une chose, ou rien du tout. Et qui demeurent gravés sur ton corps et dans ton esprit d'adulte. 

La grossophobie, c'est voir ta confiance en toi partir de zéro (ou y descendre) et ne jamais évoluer, puisque tu n'as pas le temps de la travailler vu que tu es rabaissé constamment.

La grossophobie, c'est les injonctions à manger plus, ou manger moins, que t'inculque ton entourage. Allez, finis ton assiette, y'a des gamins qui crèvent de faim en Afrique. N'en reprends pas, va, t'es déjà assez potelée comme ça. Comment tu fais pour pas t'évanouir en cours avec le peu que tu manges ? Attention, la brioche commence à pousser là. T'as vraiment un appétit d'oiseau, tu pourrais te forcer un peu quand même. Tu ne veux pas avoir un cul de vache ?

La grossophobie, c'est trop souvent être seul et le rester. C'est hésiter à sortir de chez soi une fois adulte car on sait, on est persuadé, qu'il va encore se passer quelque chose. Une remarque, un regard, qui va suffire à nous pourrir la journée.


La grossophobie, c'est celle que tu subis peu importe ton poids, supposé ou réel.

C'est lorsque des abrutis s'amusent à te traiter de grosse juste pour le plaisir sadique de te voir complexer un peu plus.
 
La grossophobie, c'est parfois faire une taille de jean que les gros considèrent comme "mince", et que les minces considèrent comme "ronde", ainsi tu te trouves dénigrée ou rejetée de tous les côtés.

La grossophobie, c'est quand tu surprends des potes en train de dire "moi une fille ronde / grosse / en surpoids, c'est comme une fille qui fume / qui boit / qui se drogue, je pourrais pas", ou "à la limite pour un plan cul et encore, faut être mort de faim... ou avoir vachement pitié".

La grossophobie, c'est quand les magazines et les photographes, même amateurs, cherchent "uniquement des filles minces" pour participer en tant que modèle. Critère encore plus con sachant que dans presque tous les cas les photos seront retouchées par la suite, puisque même les filles que l'on estime "minces" ne correspondront jamais à l'image surfaite de la femme renvoyée dans les médias.


La grossophobie, c'est subir dix fois plus de regards et de réflexions cinglantes ou irréfléchies que si t'avais "rien à perdre" selon la société, et ces comportements ne choquent jamais grand monde.

La grossophobie, c'est l'hypocrisie permanente des gens qui préfèrent utiliser "ronde" plutôt que "grosse", alors qu'ils n'en pensent pas moins.

La grossophobie, c'est côtoyer toutes ces injonctions permanentes teintées de sexisme, "tu ne devrais pas porter ces fringues", "tu devrais plutôt porter ces vêtements bien larges", "prends du noir et mets des talons hauts ça amincit", "pas de rayures ça grossit encore plus", "c'est trop près du corps", "ça irait mieux sur quelqu'un de mince", "montre tes seins puisque tu en as", "cache bien tes cuissots par contre".

La grossophobie, c'est quand tu vas chez ton pierceur pour te faire percer le nombril, et que les autres client(e)s te regardent de bas en haut, puis de haut en bas, puis de travers, comme si toi tu ne devrais pas te le permettre avec ton ventre rond ou pas tout à fait plat.


La grossophobie, c'est tous ces mecs hétéros qui croient te consoler avec "t'en fais pas, les hommes préfèrent les rondes".

Comme si on avait forcément besoin de leur approbation.

La grossophobie, c'est avoir affaire à la (fausse) bienveillance des gens et leurs "femme ronde = vraie femme", quand leur admiration pour les "rondeurs" se limite aux formes "bien placées", que tu n'as pas forcément d'ailleurs.

La grossophobie, c'est quand on te juge gratuitement, non sans une pointe de dégoût, avec des : "t'es belle, mais t'es grosse...", comme si les deux étaient parfaitement incompatibles.

La grossophobie, c'est quand les mêmes personnes tentent de te rassurer avec des "ben oui, t'es grosse, mais t'es belle", et des "un tour à la salle de gym et là tu seras parfaite".

La grossophobie, c'est quand on te sort "t'es belle MALGRE tes kilos", comme si une horrible malédiction reposait sur tes si laaarges épaules.


La grossophobie, c'est les cons qui pensent que quand tu es gros, tu es de toute façon MALADE, forcé de dire adieu au bonheur et à tous les plaisirs de la vie.

Et de regretter pour l'éternité ton caractère pourri qui fait que tu manques trop de volonté pour pouvoir rentrer dans la case "mince".

La grossophobie, c'est souvent le malheur d'avoir des TCA peu (voire pas) reconnues par les institutions médicales, qui te parlent très vite et très facilement de boulimie et d'obésité, beaucoup moins d'anorexie et de dépression. "Après tout, si les grosses étaient anorexiques, elles seraient maigres ?!?!"

La grossophobie, c'est commencer à penser aux opérations chirurgicales pour résoudre tous ces "problèmes". S'en vouloir d'être quelqu'un d'aussi superficiel et centré sur l'apparence. Y renoncer. Y repenser quand même.

La grossophobie, c'est les commentaires décomplexés des gens sur Internet, qui excusent la grossophobie quotidienne par des "mais ils le méritent, pis c'est la vérité, et pis ils ont qu'à maigrir s'ils veulent pas qu'on se moque d'eux" et des "mais c'est pour leur bien qu'on leur dit qu'ils sont gros, il faut bien qu'ils changent, c'est pour leur santé". Et aussi (et peut-être même surtout) parce que ces idiots ne supportent pas de voir des hanches larges ou quelques bourrelets qui dépassent, ou juste l'idée d'y être associé : tout ce qui compte, c'est "sauver les apparences", point.


La grossophobie, c'est celle que tout le monde accepte, celle dont tu voudrais te défendre, mais tu n'en as pas les moyens.

Et ça devient celle qui sort de ta propre bouche et que tu appliques à toi-même, tellement on t'a bien bourré le crâne de ces conneries.

La grossophobie, c'est pas la lutte contre l'obésité, c'est la lutte contre les gros. Ceux qui prennent trop de place. Ceux qui dérangent. Ceux que l'on a peur de devenir, en fait.

La grossophobie, c'est l'effort permanent quand tu as un surpoids et que t'essayes de manger "bien" ou "mieux" pour t'en débarrasser, même pas pour toi mais pour ceux qui ne t'aiment pas tel-le que tu es. Et que tu continues à cumuler les kilos en même temps que les moqueries.

La grossophobie, c'est ces diététiciens et autres "professionnels de la santé" qui se font grassement leur beurre sur ton dos, ce régime forcé et tant détesté, cette grève de la faim qui te noue le ventre, ce bout de salade dans ton assiette qui ne te fait plus envie depuis si longtemps. 


La grossophobie, c'est ne plus pouvoir apprécier ce que l'on mange.

La grossophobie, c'est ne même plus avoir faim du tout.


La grossophobie, c'est se sentir coupable, et haïr son corps au point de vouloir le meurtrir.

Et finir par le faire.